Débat réglementaire sur les "Engins de Déplacement Partagés" en Californie

A Paris comme en Californie les débats sont vifs et il semble difficile d'aboutir à un consensus sur la réglementation des trottinettes en libre service dans un contexte où :
  • Certains souhaitent encourager les mobilités électriques, partagées, relativement peu consommatrices d'espace public et peu productrices de CO2.
  • D'autres sont plutôt sensibles aux dangers de cette nouvelle catégorie de mobiles quand elle circule sur la route et pis encore sur les trottoirs et à la gène suscitée par l'encombrement des trottoirs dans certaines zones denses...
En France en attendant l'adoption de la loi LOM, Paris a adopté le principe d'une taxation du nombre de trottinettes (nous en avions parlé ici) et le sujet nourrit les escarmouches entre Mme Hildalgo et M. Castaner.

Un détour par la Californie apporte un éclairage sur les termes du débat sur la réglementation des "shared mobility objects" (c'est à dire des trottinettes et autres VLS soit, en bon français, des "EDP" : Engins de Déplacements Partagés ...) aux USA.
Le Département des Transport  de Los Angeles (LA DOT) a développé un outil visant à faciliter les échanges de données entre la ville et les opérateurs de mobilité partagée :  "Mobility Data Stpecification". Ce "standard" fait l'objet d'un article récent de Gabriel Plassat sur la Fabrique des Mobilités. L'objectif annoncé est d'observer les déplacements pour mesurer les conséquences du déploiement et, le cas échéant, de réguler, voir de taxer les usages. Cette spécification a rapidement intéressé d'autres villes et irrité les sociétés de micro-mobilités qui pour la plupart sont peu favorables à la régulation du secteur au niveau local.

L'état de Californie, probablement à la demande des opérateurs, s'est intéressé au sujet et travaille sur une proposition loi qui s'imposerait aux villes.Elle visait initialement à interdire aux villes d’exiger d'accéder aux données des opérateurs de micro-mobilité. Ce texte (Assembly Bill AB 1119) a été débattu et pour le moment aucun accord n'a été obtenu. Logiquement les villes se battent pour affaiblir le texte. Néanmoins, le débat, les évolutions du texte et le jeu des acteurs sont intéressants y compris dans un contexte français et parisien. Les débats ont porté sur 3 points : l'accès aux données, le champs des obligations pouvant être imposées aux opérateurs au niveau local et les redevances.

Sur les données :

L'EFF (Electronic Frontier Foundation),  qui défend la vie privée, la liberté d'expression et l'innovation, a pris position pour interdire l'accès aux données par les services des villes. Les arguments de l'EFF sont détaillés dans cet article : Los Angeles Department of Tansportations ride tracking pilot is out control. En substance, les données de géolocalisation détaillées sont des données personnelles sensibles qui doivent rester confidentielles et sous la stricte responsabilité de l'entreprise qui les collecte. Elles ne doivent pas circuler entre les organisations.

Du coup le texte actuel introduit les notions de données anonymisées et agrégées. Il autorise les villes à exiger l'accès aux données opérationnelles anonymisées et agrégées pour tous les voyages réalisés au moins en partie sur leur territoire.En principe c'est clair, en pratique ce n'est pas si simple à mettre en oeuvre...

Sur la possibilité d'imposer une licence locale :

A ce stade, le texte reconnait cette possibilité mais cadre les exigences pouvant figurer dans l'accord de licence? Outre les dispositions relatives à la sécurité et à la santé publique, des clauses visant à obliger les opérateurs à servir certaines zones ou certaines personnes (ensure equitable access to historically disadvantaged communities or individuals) peuvent accompagner la licence.

Enfin sur les redevances :

Le texte, dans son état actuel, autorise la perception de redevances à condition que leur montant soit proportionné aux coûts induits pour la collectivité pour l'administration du service.

Au final rien de tout cela n'est définitif et on devrait entendre parler à nouveau de ces trottinettes dans les semaines et les mois qui viennent !

Transit Data à Paris : 6 tendances pour les données et le mass transit


Du 8 au 10 juillet 2019, quatre-vingt des meilleurs "data-scientists" du domaine du "mass transit" se sont réunis à Paris pour la cinquième édition de Transit Data.
J'ai pu assister à une partie de l'événement, que vous pouvez revivre en remontant le fil twitter  et ai été impressionné par la qualité des participants et  des présentations. Elles sont, cerise sur le gâteau, pour la plupart accessibles en ligne.
Après avoir relu ces présentations, je partage avec vous 6 tendances générales qui me semblent représentatives de l'ensemble, illustrées par quelques présentations :
  1. Une meilleure compréhension des comportements des voyageurs en particulier des critères de choix d’itinéraire en milieu urbain dense. Des comportements spécifiques comme le déni d’embarquement (boarding denial), les itinéraires "à rebours" (back riding ou reverse routing) ou les réactions en cas d’incident (fermeture de gares) font l'objet d'analyse quantitatives inédites et intéressantes. Voir par exemple :  Understanding passenger path choice in congested metro  networks: The  case of reverse routing.
  2. Des analyses sur les couplages voyageurs/exploitation notamment autour des temps d’embarquement, ou des choix d’itinéraires en bus en fonction de l’information disponible ou d’incidents… Voir l’étude japonaise sur les liens entre perturbations  des trains et affluences des voyageurs :  Empirical Investigation of Fundamental Diagram for Urban Rail Transit by Using Commuter Rail Data in Tokyo … 
  3. Un recours fréquents aux méthodes issues du « machine learning » au domaine de la mobilité. Il y a plusieurs exemples d'applications d'algorithmes de clustering dont une sur la vulnérabilité des gares aux perturbations et une sur la segmentation des voyageurs sur la base de leurs données de mobilité. J'ai apprécié la présentation de VEDECOM : Prediction of bus passenger flow using Machine Learning.
  4. Plusieurs études sur la multi-modalité autour des stations de transit ou en substitution du transit associant de nombreuses données dont des données météo ou événementielles…  Voir notamment :  Longitudinal modeling of the daily subway ridership in Montreal: What is the influence of alternative modes of transport ? (non disponible pour le moment).
  5. Moins de présentation sur les questions de tarification. Voir tout de même :  Evaluating the impact of fare capping and guaranteed best fare policies with smart card data and Machine learning.
  6. Un intérêt pour les données ouvertes : GTFS, OSM… qui permettent de construire des benchmarks mondiaux Voir par exemple :Enhanced complex network representation of public transport for accessibility assessment based on General Transit Feed Specification data .
Je serai, bien sûr, heureux d'avoir vos commentaires sur la pertinence de ces tendances et de cette petite sélection... Et surtout, je remercie et félicite les auteurs des présentations, les membres du steering committee, les organisateurs et tout particulièrement Maguelonne Chandesris.

Gouverner les transports à l'ère algorithmique : une étude de l'ITF

En pleine préparation de la Loi d'Orientation des Mobilités et au moment où les transports font plus que jamais l'objet de débats politiques et réglementaires, l'International Transport Forum  (ITF) de l'OCDE publie le 23 mai 2019 une étude intitulée Governing Transport in the Algorithmic Age


C'est l'occasion de saluer la qualité du travail de l'ITF dont les rapports sont clairs et intéressants. Je vous incite à le lire et en retiens quelques pépites que je vous livre.

Le premier mérite de l'étude est d'identifier les risques induits par le recours aux algorithmes dans le domaine des transports de façon concrète et pédagogique.

L'importance des algorithmes mais aussi des données et des réseaux (Data, Networks, Algorithms : the next DNA of transport) pour les transports est illustrée par des exemples variés : guidage des personnes et des véhicules, contrôle d'accès, services innovants de véhicules partagés, de transport à la demande, péages, planification des investissements et, bien sûr, véhicules autonomes...Le rôle croissant des applications, leurs interdépendances via les données qu'elles génèrent et consomment laisse entrevoir un vaste système de mobilité complexe piloté par des algorithmes et bien des dystopies si l'homme perd la maîtrise de l'ensemble !

L'adage "code is law" s'applique parfaitement à la mobilité... mais  le code de la route et plus généralement les outils qui formalisent actuellement la gouvernance des transports sont-ils suffisamment accessibles aux machines ? Est-il souhaitable de "coder" la loi ? de déléguer certaines fonctions réglementaires aux machines ? Comment réguler les algorithmes ?   L'essentiel des recommandations de l'étude éclairent ces questions.

L'étude introduit, d'abord, ce que sont les algorithmes, comment ils fonctionnent et ce qu'ils permettent de faire. L'intelligence artificielle ou plus justement les différentes techniques d'apprentissage automatique (machine learning) ne reposent que sur des algorithmes et ne sont pas exemptes de failles et de biais. La notion de "régulation algorithmique" émerge, elle ouvre de nombreuses questions.

La compréhension des impacts des algorithmes,  souvent positifs et parfois négatifs, est un prérequis peut y répondre. Ces impacts sont illustrés par des cas concrets réels :
  • erreurs de programmations faisant accélérer des automobiles, 
  • défaut dans les interactions entre l'homme et la machine lors des accidents mettant en cause des voitures en "pilotage automatique" dans lesquels l'homme aurait dû reprendre le contrôle du véhicule,
  • introduction de biais et de discriminations dans l'accès à certains services de mobilité... 

Les risques liés aux algorithmes couvrent des catégories étendues de la sécurité des personnes à la défense du bien social en passant par l'équité, la transparence, la responsabilité et la protection de la vie privée.

Dans chaque catégorie les risques sont illustrés concrètement par des failles ou des attaques réelles. Une attaque spectaculaire visant à leurrer les capteurs d'un véhicule autonome en lui faisant prendre un feu vert pour un feu rouge est particulièrement évocatrice des risques.

Pour ceux qui douteraient encore, je ne résiste pas à l'envie de vous partager cette vidéo récente de l'université de Stanford  même si elle n'a pas de lien avec le transport. Elle montre, de façon spectaculaire, à quel point il est facile de leurrer non seulement les algorithmes, mais aussi les gens !

Les différences entre les décisions humaines et algorithmiques sont, d'ailleurs, abordées. Les premières peuvent être mauvaises mais elles sont, en majorité, clairement encadrées par les lois et associées à des principes de responsabilités et de sanctions. Ce cadre résulte de longues observations des risques et de négociations entre les différentes parties prenantes.

Si il semble prématuré de changer ces règles  "analogiques" pour les adapter aux algorithmes, il est nécessaire que les régulateurs prennent mieux en compte l'importance réelle du logiciel dans le domaine des transports.

Dix recommandations découlent de cette analyse :
  1. sensibiliser les autorités aux algorithmes et rendre les politiques des transports compatibles avec les algorithmes,
  2. s'assurer que le contrôle et la tutelle des algorithmes sont bien proportionnés à leurs impacts et aux risques qu'ils induisent,
  3. intégrer, par défaut, des fonctions d'audit dans les algorithmes susceptibles d'avoir un impact important, 
  4. traduire les règles de droits "analogiques" en code lisible par les machines pour permettre leur utilisation par des algorithmes  (l'étude signale que 782 autorités réglementaires dans le monde, dont 39 en France, le Bundestag et la ville de Washington, ont déjà transcrit certaines de leurs règles en code et les ont mises à disposition du public sur Github), 
  5. avoir recours à des algorithmes pour réguler de façon plus dynamique et efficiente (voir les propositions de la ville de Los Angeles pour réguler l'utilisation de l'espace urbain par les services de VTC via un système d'API  nommé Mobility Data Specification dont nous avions parlé ici), 
  6. comparer la performance des systèmes algorithmiques à celle des prises de décisions humaines,
  7. évaluer les algorithmes au delà des critères de transparences et d'explicabilité (développer la notion d'explicabilité "by design"),
  8. mettre en place un cadre robuste pour garantir la responsabilité des décisions prises par les algorithmes (qui doit être attribuée, d'après l'étude, aux entités qui les déploient), 
  9. établir des lignes directrices claires et des actions réglementaires pour évaluer l'impact des prises de décision algorithmiques, 
  10. adapter la façon dont la régulation est élaborée pour refléter la vitesse et l'incertitude liées aux déploiement des algorithmes.

Des cryptomonnaies à la gouvernance des communs ?

Les cryptomonnaies proposent des outils de gouvernance décentralisés. J'ai l'intuition que ces nouveaux outils vont questionner en profondeur la façon dont nos entreprises, et plus généralement notre société sont organisées.
Tout cela semble intéressant pour le secteur de la mobilité qui nécessite une coopération (ou de "co-ompétition") entre les acteurs pour produire des bénéfices pour les clients et les territoires.
J'avoue, néanmoins que la synthèse n'est pas facile à faire et que je n'ai pas réussi à faire un article du genre "les dix raisons de s'intéresser aux crypto-monnaies" pour les acteurs de la mobilité !!
Dans cet article, je me contente de vous livrer un premier état des lieux et serai ravi d'avoir en retour vos avis et compléments !

De quoi parle-t-on ? 

Rappelons que la valeur totale des Bitcoins aujourd'hui est de l'ordre de $80Mds, 15Mds pour Etherum, etc... Ce n'est pas rien, mais ce n'est pas non plus, très significatif à l'échelle des différents actifs  dans le monde. La valeur de l'or, par exemple, semble être de l'ordre de $8000Mds. Voici un graphe issu d'une étude de Savills sur la valeur comparée des différents actifs (à fin 2017) : 

Un écosystème riche !

Ce qui est plus intéressant que la valeur des cryptomonnaies, c'est leur variété. Si on ne s'attache qu'aux 10 premières en valeur, on obtient un panorama varié et des histoires passionnantes. 
  • Bitcoin, Litecoin et Bitcoin Cash : sont fondés sur les principes généraux de l'article fondateur de Satoshi Nakamoto. Bitcoin Cash est le résultat d'un choix fait par un certain nombre de "mineurs" de retenir une version différente des algorithmes de minage pour Bitcoin. Ce phénomène, dit "hard fork", s'apparente à un schisme entre deux communautés en désaccord sur la gouvernance.
  • Ethereum, est une véritable plateforme de programmation décentralisée et pas uniquement une monnaie. Elle permet de programmer des smart contracts qui réaliseront des transactions avec des utilisateurs. Dans leur forme la plus élaborée, ces smart contracts deviennent des entités autonomes distribuées (DAO). Les DAO structurent un dispositif de gouvernance dans lequel des "actionnaires" vont "piloter" les smart contracts sous-jacents, un peu comme les actionnaires d'une entreprise classique.
    Il est intéressant de noter qu'une des premières DAO sur Ethereum (malencontreusement nommée The DAO) a été victime d'un bug. Ce bug a été découvert et exploité malicieusement. Pour récupérer les fonds détournés (environ $50M) la communauté a choisi de modifier l'algorithme de minage... Néanmoins, une partie des mineurs a refusé cette évolution provoquant un "hard fork" à l'origine de la création d'Ethereum Classic... Il y a donc aujourd'hui une partie de la communauté qui possède de l'Ethereum,  qui a retrouvé les fonds et qui a remboursé les détenteurs légitimes. Pendant ce temps, une autre communauté dissidente, qui possède maintenant de l'Ethereum Classic, considère que les fonds détournés sont la propriété du hacker... Au passage, néanmoins, la valeur des fonds détournées est en Ethereum Classic qui s'échange à la date de cette article pour une valeur 30 fois inférieure à celle d'Ethereum. 
  • EOS et Cardano : sont programmables comme Ethereum, mais elles sont sécurisées par des mécanismes de consensus par "preuve d'enjeu" (Proof of stake) plus économiques et écologiques que les mécanismes de "preuve de travail" d'Ethereum et de Bitcoin qui sont gourmands en énergie.    
  • Binance Coin : est un "jeton" (token) crée sur Ethereum et émis par Binance qui est l'un des plus gros sites d'achat et de vente de cryptomonnaies. La création de Binance Coin est une façon pour Binance de fidéliser et de valoriser sa base client. 
  • Ripple et Stellar : sont des cryptomonnaies "centralisées" qui visent à proposer aux banques des mécanismes d'échanges sûrs, très flexibles et à bas coûts.
  • Tether : est un exemple de "stable coin" sensé garantir la parité avec une devise classique (le $) tout en offrant la flexibilité de transaction et de programmation d'une cryptomonnaie. Cette propriété intéressante peut, théoriquement, être atteinte par un mécanisme de garantie par un tiers (donc un dispositif centralisé) qui achèterait et stockerait un vrai dollars pour chaque équivalent distribué sous forme de cryptomonnaies. D'autres mécanismes ont été imaginés et testés, mais à ma connaissance aucun n'a, pour le moment tenu ses promesses.

Une utilité au delà de la "monnaie"

Au carrefour des mathématiques (théorie des jeux, algorithmes répartis...), de l'informatique (en particulier de l'informatique distribuée) et de l'économie, l'essor des cryptomonnaies propose un ensemble de concepts innovants. Ils ne sont pas uniquement liés aux cryptomonnaies ni à la "blockchain", mais ils sont culturellement liés. Ils sont notamment discutés et évalués par les acteurs des cryptomonnaies : développeurs open source, mineurs ou spéculateurs. Je vous en cite quelques uns sans viser l'exhaustivité ni beaucoup de rigueur dans la classification...

Les "tokens" : Ethereum (et bien d'autres plateformes décentralisées et programmables) permettent de créer "des jetons". Il s'agit d'une sorte de certificat digital qui va donner des droits à son possesseur dans le cadre de "smart contracts". Un token peut représenter un droit de vote dans un processus de décision programmé dans un smart contract. Il est souvent cessible et peut, dans certains cas, être opposable à un tiers en vue, par exemple, de la fourniture d'un service ou d'un bien. Certains sont suffisamment échangés pour avoir un "cours" sur les marchés spécialisés en cryptomonnaies.

Les mécanismes de consensus décentralisé visent à faire émerger un fait (ou une valeur) qui sera considéré comme consensuel par une communauté d'acteurs sans qu'ils aient besoin de se "faire confiance"... Ces mécanismes doivent en particulier résister à des comportements malicieux d'acteurs qui souhaiteraient, par exemple, faire émerger un fait qui les privilégie, ou simplement bloquer l'émergence du consensus. Ils fonctionnent sans qu'il y ait de délégation à un tiers de confiance comme c'est en général le cas dans les mécanismes classiques. L'organisation d'un vote classique et le dépouillement des urnes nécessitent un délégation des candidats et des électeurs à un organisateur "de confiance" !  Au passage pour ceux qui souhaiteraient approfondir, je suggère le cours d’algorithmique répartie du College de France par Rachid Guerraoui et en particulier la conférence intitulée Si Blockchain est la solution, quel est le problème ? qui est assez jubilatoire.
Et pour ceux qui ne voudraient pas approfondir, je propose une analogie simple... Le mécanisme qui fait que les spectateurs, à la fin d'un spectacle réussi, vont progressivement se "mettre d'accord" sur le rythme des applaudissements pour demander un rappel est une "sorte de consensus décentralisé". Personne ne dirige le mouvement, au démarrage chacun choisit un rythme différent, mais petit à petit le consensus se crée...Enfin, il est relativement difficile à quelques acteurs "malicieux" d’empêcher la masse des spectateurs de demander un rappel.

L'utilisation de jetons pour la curation de listes  (Token Curated Registry)  est un mécanisme qui aligne les intérêts de : 
  1. "candidats" souhaitant figurer sur une liste,
  2. de "curateurs" devant émettre des avis permettant de maintenir la qualité de la liste, 
  3. des "consommateurs" qui utilisent la liste pour guider leur choix et qui créent alors de la valeur pour les candidats présents sur la liste.
Bien conçu, ce mécanisme est une alternative au recours à un expert éditant la liste. Les motivations de ce tiers sont difficiles à connaitre et il peut avoir intérêt à biaiser la liste....  Or les listes sont au cœur de la plupart des mécanismes collaboratifs notamment pour la gestion d'habilitations (white ou blacklist), La maîtrise de la qualité des listes pourrait, par exemple, aider à combattre le spam, les attaques de type "hameçonnage",  les "fake news" et à réguler les réseaux sociaux.
Les détails du mécanisme sont décrits dans divers documents et implémentés avec des paramètres variés dans plusieurs solutions. La vidéo ci-dessous en donne rapidement une vision pédagogique :



Les votes quadratiques introduisent de la flexibilité dans les mécanismes de vote traditionnels. L'idée est de permettre aux "votants" les plus engagés de voter plusieurs fois en achetant des voix supplémentaires.  Le prix de ces votes croit de façon quadratique (2 puis 4 puis 8 puis 16...). Ce mécanisme permet de prendre en compte l'importance que le vote a pour les différents groupes de votant, sans pour autant permettre à un acteur unique de contrôler le vote en achetant un nombre de voix significatif... En théorie, il conduit au résultat qui représente la valeur la plus élevée pour la communauté participant au vote. Ce concept a fait l'objet d'un  article signé par Vitalik Buterin
fondateur d'Ethereum, Zoë Hitzig du département d'économie d'Harvard University  et par E. Glen Weyl auteur du livre "Radical Markets" dont voici le résumé en une phrase : "Replacing capitalism, democracy and borders with creative forms of auctions can eliminate most inequality, restore robust economic growth, heal our politics and create a truly just society".

Je voudrai remettre les mécanismes cités ici en perspective.

D'une part ils ne sont pas directement liés aux crypto-monnaies. Ils sont plutôt le fruit de contributions de la cryptologie, de la théorie de jeux et de l'informatique distribué dans les mécanismes de gouvernance d'écosystèmes ouverts. Il s'agit, en premier lieu, des communautés de développeurs, de mineurs et d'utilisateurs des différentes crypto-monnaies... Mais la portée des mécanismes me semble plus large.

D'autre part, les "avantages" évoqués doivent être pesés avec soin. Ces mécanismes, une fois codés, ne sont pas exempts de failles. Ils sont loin d'être invulnérables aux manipulations. Il est vrai, aussi, que nous en sommes souvent au stade des premières implémentations et donc, des premières attaques forcément inédites.

Pour conclure

Les crypto-monnaies et les concepts qui les accompagnent peuvent intéresser les entreprises et les organisations en général. Ils me semblent particulièrement adaptés à la gestion des "communs", comme par exemple les logiciels open sources (voir par exemple Gitcoin.)...

Ils devraient, donc, intéresser les acteurs de la mobilité, de l'aménagement des territoires et de la gestion de la cité. C'est déjà le cas et voici quelques acteurs déjà positionnés sur l'utilisation de blockchain : MobiIBMIomob, EY...

Pour cela, une difficulté ne doit pas être sous estimée : le "lien avec le réel". Le lien avec le monde physique, qui semble indispensable pour les services de mobilité, reste apparemment difficile à concilier avec les architectures distribuées. Les informations de localisation (voir notamment l'initiative Foam),  ou de météo, ou de trafic sont généralement fournies par un "tiers de confiance".

Les services purement digitaux eux, semblent plus faciles à décentraliser et peuvent profiter pleinement des mécanismes issus de cryptomonnaies. On peut citer Storj ou IPFS pour le stockage en ligne, Solid pour les données personnelles, Brave le navigateur qui propose une alternative à la publicité (voir cette vidéo très claire).

Fous de trottinettes ?

Les trottinettes ont envahi Paris ! La mairie a annoncé qu'elle agissait ! 
La mesure n'est, à ma connaissance, pas encore adoptée, mais Le Monde fait état d'un projet de taxe assez détaillé sur les véhicules en free float et ce soir l'information est confirmée.
Problème réglé ? Probablement pas...
Une taxe annuelle fixe sur chaque engin ne me semble pas nécessairement adaptée aux objectifs.
Je ne suis pas un expert en fiscalité et je ne connais pas non plus les autres dispositions de "la charte" en discussion entre les opérateurs et la mairie, mais voici quelques réflexions pour nourrir le débat.

La taxe ne devrait pas avoir d'effet sur le nombre de trottinettes !

En effet, il y a actuellement une forte concurrence sur un marché sans barrière à l'entrée entre de nombreux acteurs. Certains d'entre eux disposent de capitaux importants et ont l'objectif d'être, à terme, l'acteur dominant du marché.
Un article récent de Techcrunch indique que la part des financements mondiaux destinés aux "start-up" du secteur de la mobilité est considérable :


Avec plus de $ 18Mds de financement (hors private equity) en 2018, on peut comprendre que quelques gros acteurs aient la volonté et les moyens de se développer quitte à perdre de l'argent pendant quelques temps. Dans cette situation de forte concurrence entre des acteurs bien financés, les prix ne devraient pas monter, en tout cas pas à court terme... (A long terme, en revanche, les prix devraient augmenter, et les quelques acteurs qui resteront sur le marché répercuteront alors le coût de la taxe sur les utilisateurs).

Si les prix ne montent pas, il devrait y avoir toujours plus de demande pour ces trottinettes, en particulier avec les "beaux jours" et l'arrivée des touristes. Et donc, probablement pas moins d'engins en circulation, ni en stationnement...

Une barrière à l'entrée qui ne gène pas les "grosses entreprises"

Si le nombre d'engins, ne baisse pas on devrait en revanche réduire le nombre des opérateurs à ceux qui sont justement "bien financés". Pour les autres, en particulier ceux qui disposent de moins de trésorerie, le point mort va-t-être plus difficile à atteindre... On risque de voir moins de petits acteurs locaux, moins de "coopératives"... 
Est ce l'objectif ? Je n'en suis pas sûr... Mais cela explique peut-être la réaction de Arthur-Louis Jacquier, directeur général de Lime en France dans l'article du Monde qui est "ravi" de cette taxe.

Mais, au fait, faut-il moins de trottinettes ? Sans doute pas...

Les trottinettes sont, peut être, une véritable chance pour la ville. La transition énergétique passe par l'électrification des mobilités et en particulier des mobilités urbaines. Or en matière de mobilité urbaine, la voiture, même électrique, pose problème. Elle occupe simplement trop de place  pour être efficace en zone dense. Les bus électriques d'une part, et les trottinettes et autres scooters électriques d'autre part, seront probablement plus nombreux dans la ville de demain que les voitures électriques. Autant s'y préparer tout de suite ! 
A tout prendre je préfère une ville envahie de vélos et de trottinettes électriques à une ville envahie de 4x4 ou de scooters thermiques... 

Il semble possible de ne taxer que là et quand c'est nécessaire

Evidemment, si ces trottinettes sont toutes aux mêmes endroits, c'est un problème. Mais le problème n'est pas le "nombre" qui ne reflète finalement que les besoins en mobilité, mais plutôt l'inexistence de solutions pour gérer les "excédents" d'engins et policer le stationnement. Des solutions sont envisageables d'abord sous forme de service, ensuite probablement en aménageant les infrastructures... 
De ce point de vue, l'idée de flécher les revenues de la taxe sur des projets d'aménagement de places de stationnement pour les trottinettes et les vélos en libre service, est un bon début ! Le fait que le choix des emplacements s'appuie sur les travaux de l’agence de design Vraiment Vraiment et du Pavillon de l’Arsenal révèle l'importance de ces "places de stationnement".
Au passage la question de l'encombrement par exemple autour des gares parisiennes ne se limite pas aux trottinettes ni même aux mobilités partagées. J'avais, il y a quelques années pris cette photo impressionnante d'un incendie de motos près de Montparnasse.


Los Angeles introduit par exemple un système obligatoire d'échange de données avec les entreprises de mobilité.  Ce système MDS pour Mobility Data Specification permet à la collectivité de disposer d'une vision complète de l'usage des véhicules partagés. Cela devrait, à terme, permettre de ne taxer les véhicules uniquement là et quand l'encombrement pose problème. 
Le recours à GitHub pour publier le code du système fait "moderne" et c'est effectivement pratique pour les autres villes...
Mais ce qui me semble surtout malin, c'est que cela permet d'améliorer la connaissance de la mobilité dans la Cité avant d'intervenir progressivement sur le plan réglementaire...
En effet, un des problèmes posés par ces nouvelles "micro-mobilités" est qu'elles sont mal connues. On a du mal à savoir combien de e-trottinettes sont en service dans Paris et on dispose d'encore moins d'informations sur les trajets effectués avec ces véhicules. Du coup la question de l'accidentologie reste mystérieuse puisqu'on est incapable de rapprocher le nombre d'accident du nombre de km réalisés. A ceux qui s'émeuvent du nombre d'accidents, on rétorque que c'est l'effet normal d'un plus grand nombre d'utilisateurs, ou d'utilisateurs imprudents.
Ces incertitudes retardent probablement une prise de conscience du fait qu'effectivement ces véhicules sont beaucoup plus dangereux que les autres en tout cas dans les conditions actuelles d'utilisation.

Connaitre pour agir !

En réalité, il est légitime pour la collectivité de disposer des informations qui permettent de savoir où  sont ces véhicules qu'ils se déplacent ou qu'ils soient garés en utilisant un système de type Mobility Data Specification. 
Cela devrait permettre de comprendre où ont lieu les accidents et quelle est la proportion de trajets accidentogènes. A court terme, cela permettrait de prendre des dispositions relative aux usages : limitation de vitesse, interdiction de certains axes... A moyen terme, cela peut aussi aider à améliorer les trottinettes elles mêmes pour les rendre plus sûres... et à plus long terme à prendre des décisions d'aménagement des infrastructures pour adapter la ville à ces nouvelles mobilités. 
Le même raisonnement s'applique au stationnement, à l'impact sur les sources d'énergie et à toutes les nuisances qu'un mode de transport produit lorsqu'il devient un mode de masse ! 

Pour conclure, je voulais signaler que l'idée de cet article m'est venue lors d'InOut 2019 à Rennes. J'y ai notamment croisé  @15marches@TheoVital@MrYanoch et @Lelievre_Adrien‏ et nous avons parlé de trottinettes. Cela ne veut bien entendu pas dire qu'ils souscrivent aux opinions exprimées ici, mais simplement que je me suis enrichi de leurs expertises et de leurs regards croisés sur ce sujet !

Jarrett Walker : quelques vérités simples sur la mobilité urbaine

En ces temps d'innovations technologiques, M. Jarrett Walker qui est un consultant américain spécialisé dans le transport public, propose, dans la vidéo ci-dessous, un rappel opportun des "axiomes de base" de la mobilité urbaine.

Le premier est relatif à la géométrie et plus précisément à l'espace nécessaire pour les différents modes. La voiture n'est pas un mode adapté à la zone dense, simplement parce qu'elle occupe trop de place ! Qu'elle soit partagée, autonome ou "Uberisée" n'y change pas grand chose. Les VTC consomment moins de places de stationnement que les véhicules personnels, mais ils augmentent le nombre de déplacement et donc la congestion... Les véhicules autonomes de demain ne feront pas mieux.
En zone dense, il est nécessaire de disposer pour les longues distance de gros véhicules mutualisés : les bus, les trains et pour les distances moins importantes du vélo et de la marche... Ce n'est peut être pas une idée nouvelle, mais elle est simple et reste juste !

Un peu plus loin M. Walker expose les 4 problèmes de la mobilité : 
  • L'information sur l'offre là et quand on a en besoin : problème assez bien traité par l'utilisation des smart phones,
  • Les émissions et un usage efficace de l'énergie : en partie résolue avec le développement des véhicules électriques, 
  • La sécurité et l'usage efficace du travail : résolu par les véhicules autonomes, (ndlr : sur ce point je trouve M. Walker très optimiste, il y a beaucoup à dire sur la cohabitation en centre ville des véhicules autonomes avec les autres modes).
  • L'usage efficace de l'espace : traité par des véhicules de grande taille et par les mobilités douces...
M. Walker explique ensuite qu'un bus vide n'est pas un problème. Un grand bus pouvant contenir beaucoup de voyageurs coûte à peine plus cher qu'un petit bus et beaucoup moins cher que deux petits bus si à une autre heure ou un autre endroit les voyageurs sont plus nombreux.  Investir dans des véhicules un peu plus gros que strictement nécessaire peut avoir du sens en terme économique.

Par ailleurs, beaucoup de villes cherchent à utiliser les bus pour offrir une solution de mobilité sur un très large territoire. Cet "étalement" du service, amène, à budget fixe et donc à nombre de véhicule constant, une baisse des fréquences de passage. Or les voyageurs sont très sensibles à la fréquence. Une offre équitablement répartie sur l'ensemble du territoire est nécessairement une offre peu utilisée. Inversement, une offre fréquente, concentrée sur un corridor où la demande est forte, attirera de nombreux voyageurs. Le choix entre une offre utilisée par un grand nombre de voyageurs et une offre qui dessert un large territoire est un choix politique. M. Walker reste neutre, mais il semble tout de même regretter que les élus aient tendance à privilégier les larges dessertes égalitaires mais de mauvaise qualité à des offres plus restreintes mais plus performantes et plus attractive pour les voyageurs.


12 minute et 30 s après le début, M. Walker explique que la mobilité est liée à la liberté et qu'elle répond à une aspiration essentielle des citoyens : la possibilité d'atteindre certains lieux c'est la possibilité de faire certaines choses !
Il prend l'exemple du re-design du réseau de Dublin, actuellement à l'étude, pour indiquer que l'objectif est d'étendre le périmètre atteignable en 45 mn de transport. Cet "isochrone" de 45 minutes à partir du domicile représente l'espace limité dans lequel le citoyen va devoir vivre. Étendre cet isochrone permet d'augmenter la liberté des citoyens !
Cet argument, assez fort, est particulièrement adapté pour convaincre les "conservateurs" américains. En effet, ce groupe est à la fois attaché aux libertés individuelles mais souvent opposé aux initiatives publiques en général et aux transports publics en particulier. M. Walker explique qu'en ville, la liberté nécessite un partage efficace de l'espace et donc un recours aux transports publics. Il cite le président Lincoln : ceux qui ne respectent pas la libertés des autres sont précisément ceux qui ne méritent pas la liberté (Those who deny freedom to others deserve it not for themselves"). 

L'amélioration des performances du réseau passe par la généralisation de ligne de bus à haute fréquence (moins de 15 minutes). Il insiste sur la "rigidité de l'offre" qui rassure les voyageurs, facilite l'adoption et permet de densifier encore l'offre si le trafic augmente sur la ligne.

Enfin, il explique les liens entre développement urbain et conception des réseaux : un urbanisme responsable construit dans les endroits qui pourront être desservis. 

Vous l'avez compris, j'apprécie beaucoup Jarrett Walker, c'est un expert reconnu, un défenseur engagé du transport public (ce qui n'est pas si courant aux USA), mais aussi un excellent orateur qui n'abuse pas du jargon. Il tient aussi le blog human transit qui mérite d'être suivi.
Un autre de ses "faits d'armes" est la polémique qui l'a opposé à Elon Musk. Je ne résiste pas au plaisir de vous présenter ci-dessous cet interview sur le sujet sur Fox en plus !

Bugs, biais et failles du Machine Learning

La vitesse à laquelle les performances des algorithmes de Machine Learning progressent est assez stupéfiante. Comme le rappelle Lex Friedman dans ce cours récent sur l'état de l'art du Machine Learning,  l'année 2018 a vu des résultats saisissants dans des domaines variés :
  • Le traitement du langage naturel et en particulier dans la traduction automatique.  Google Translate propose aujourd'hui des résultats beaucoup plus fluides y compris du chinois vers le français par exemple.
  • Les algorithmes d'aide à la conduite (ADAS) ont fait des progrès importants. Dans leurs sillages, toutes les techniques d'apprentissage associées à l'autonomie se sont améliorées. L'apprentissage par simulation grâce à la création de scénarios de conduite artificiels réalistes permet d'accélérer la mise au point et d'améliorer la fiabilité des algorithmes.
  • Le traitement d'image permet aujourd'hui de créer des visages et des environnements totalement artificiels mais réalistes.
Génération automatique de visages en 2014 et 2018
Image: Goodfellow et al; Karras, Laine, Aila / Nvidia

  • Il devient aussi possible d'améliorer la résolution d'une image ou la fluidité du ralenti d'une vidéo en laissant le logiciel extrapoler les détails absents de l'image ou de la vidéo originale.La qualité des deep fake  (ou "fausses vidéos") dont nous avions déjà parlés ici n'a fait que progresser.
  • Dans le domaine du jeu, AlphaZero  a battu les meilleurs joueurs mondiaux en Go, mais aussi aux échecs....
Pourtant, l'utilisation de ces technologies "in real life" est souvent décevante. Certains évoquent le cycle de Gartner et le passage du "pic des attentes irréalistes" à la "vallée des désillusions" pour certaines de ces applications. 

Quand un service ne donne pas les résultats attendus par ses utilisateurs, cela peut s'appeler un bug, un "biais" ou une faille. Les méthodes qui visent à garantir :

  • le "bon fonctionnement dans les conditions normales d'utilisation", 
  • "l'équité" et la "fiabilité" des résultats pour tous les utilisateurs quels que soient leur age, leur sexe ou leur origine,
  • ou la "sécurité logicielle",

sont souvent les mêmes. Pourtant, la nature même du "machine learning" qui s'affranchit de "règles univoques" et qui s'appuie sur des "bases d'apprentissage" contenant un grand nombre d'exemples réputés corrects, crée des vulnérabilités nouvelles et spécifiques.

L'étude des "attaques" spécifiques du "Machine Learning" permet d'appréhender les risques et de mieux se protéger des "bugs" et des biais spécifiques de ces nouveaux services. Un article récent du "radar" d'O'Reilly distingue les catégories d'attaques suivantes :
  • L'empoisonnement (poisonning) qui consiste à polluer les bases d'apprentissage pour amener l’algorithme à apprendre des comportements différents de ceux attendus par les créateurs. Le chatbot Tay de Microsoft élaborait ses réponses à partir de l'analyse de conversations existantes sur le même sujet sur Twitter. Tay a rapidement reproduit les formulations racistes ou sexistes qu'on trouve en abondance sur Twitter lorsqu'on aborde certains thèmes. Il est normal qu'un service reproduise les biais présents dans sa base d'apprentissage.  Or les biais prévalent dans l'immense majorité des données existantes utilisées pour l'apprentissage.
  • L'évasion (Evasion) qui consiste à travailler ce qui est entré d'un algorithme de classification pour le faire "dérailler". La classification d'image est, par exemple, vulnérable au changement de quelques pixels sur la photo soumise au logiciel de classification. Ces quelques pixels ne vont pas changer la perception humaine mais vont tromper le logiciel comme illustré ci dessous :

Credit: Christian Szegedy et al.

  • L'abus d’identité (impersonification) consiste, inversement, à mobiliser les technologies pour créer l'apparence d'un utilisateur spécifique et produire des effets inattendus. On trouve dans cette catégorie les "Deep Fake" évoqués plus haut, mais aussi plus simplement l'utilisation par le dessin animé "South Park" des mots clés des assistants "Hey Alexa" ou "OK Google" qui a déclenché, à grande échelle, des réactions inattendues sur les équipements d'un grand nombre de téléspectateurs.  
  • L'inversion (inversion) est un risque qui porte sur la possibilité pour un utilisateur d'exploiter les réponses fournies par l'algorithme pour "deviner" une partie des données ayant servi à l'apprentissage. En effet, il arrive que les bases d'apprentissages soient confidentielles, par exemple parce qu'elles contiennent des informations personnelles. L'existence, même théorique de ce risque, est de nature à interdire l'utilisation de données "sensibles" dans les bases d'apprentissage. Cela pourrait contraindre fortement les méthodes d'apprentissage dans certains domaines.
Ces exemples, qui ne sont pas exhaustifs, montrent que si l'intelligence artificielle peut libérer l'homme d'un certain nombre de tâches répétitives, l'intervention humaine au moment de la conception puis de la validation du service est essentielle.
L'examen critique des résultats en fonctionnement normal, la recherche de biais et de faille, la "robustesse" des algorithmes restent pour le moment des opérations qui ne peuvent se passer d'une intervention humaine qualitative et vigilante.
Cela n'est, bien sûr, pas antinomique avec l'apparition d'outils visant à faciliter l'évaluation des services. Lime et SHAP sont deux exemples de ces outils d'aide à l'analyse des modèles issues d'algorithmes de Machine Learning. Pour les plus intéressés, leurs mérites respectifs sont comparés dans cet article sur le blog de Domino.