Les trottinettes ont envahi Paris ! La mairie a annoncé qu'elle agissait !
La mesure n'est, à ma connaissance, pas encore adoptée, mais Le Monde fait état d'un projet de taxe assez détaillé sur les véhicules en free float et ce soir l'information est confirmée.
Problème réglé ? Probablement pas...
Une taxe annuelle fixe sur chaque engin ne me semble pas nécessairement adaptée aux objectifs.
Je ne suis pas un expert en fiscalité et je ne connais pas non plus les autres dispositions de "la charte" en discussion entre les opérateurs et la mairie, mais voici quelques réflexions pour nourrir le débat.
La taxe ne devrait pas avoir d'effet sur le nombre de trottinettes !
En effet, il y a actuellement une forte concurrence sur un marché sans barrière à l'entrée entre de nombreux acteurs. Certains d'entre eux disposent de capitaux importants et ont l'objectif d'être, à terme, l'acteur dominant du marché.
Un article récent de Techcrunch indique que la part des financements mondiaux destinés aux "start-up" du secteur de la mobilité est considérable :
Avec plus de $ 18Mds de financement (hors private equity) en 2018, on peut comprendre que quelques gros acteurs aient la volonté et les moyens de se développer quitte à perdre de l'argent pendant quelques temps. Dans cette situation de forte concurrence entre des acteurs bien financés, les prix ne devraient pas monter, en tout cas pas à court terme... (A long terme, en revanche, les prix devraient augmenter, et les quelques acteurs qui resteront sur le marché répercuteront alors le coût de la taxe sur les utilisateurs).
Si les prix ne montent pas, il devrait y avoir toujours plus de demande pour ces trottinettes, en particulier avec les "beaux jours" et l'arrivée des touristes. Et donc, probablement pas moins d'engins en circulation, ni en stationnement...
Une barrière à l'entrée qui ne gène pas les "grosses entreprises"
Si le nombre d'engins, ne baisse pas on devrait en revanche réduire le nombre des opérateurs à ceux qui sont justement "bien financés". Pour les autres, en particulier ceux qui disposent de moins de trésorerie, le point mort va-t-être plus difficile à atteindre... On risque de voir moins de petits acteurs locaux, moins de "coopératives"...
Est ce l'objectif ? Je n'en suis pas sûr... Mais cela explique peut-être la réaction de Arthur-Louis Jacquier, directeur général de Lime en France dans l'article du Monde qui est "ravi" de cette taxe.
Mais, au fait, faut-il moins de trottinettes ? Sans doute pas...
Les trottinettes sont, peut être, une véritable chance pour la ville. La transition énergétique passe par l'électrification des mobilités et en particulier des mobilités urbaines. Or en matière de mobilité urbaine, la voiture, même électrique, pose problème. Elle occupe simplement trop de place pour être efficace en zone dense. Les bus électriques d'une part, et les trottinettes et autres scooters électriques d'autre part, seront probablement plus nombreux dans la ville de demain que les voitures électriques. Autant s'y préparer tout de suite !
A tout prendre je préfère une ville envahie de vélos et de trottinettes électriques à une ville envahie de 4x4 ou de scooters thermiques...
Il semble possible de ne taxer que là et quand c'est nécessaire
Evidemment, si ces trottinettes sont toutes aux mêmes endroits, c'est un problème. Mais le problème n'est pas le "nombre" qui ne reflète finalement que les besoins en mobilité, mais plutôt l'inexistence de solutions pour gérer les "excédents" d'engins et policer le stationnement. Des solutions sont envisageables d'abord sous forme de service, ensuite probablement en aménageant les infrastructures...
De ce point de vue, l'idée de flécher les revenues de la taxe sur des projets d'aménagement de places de stationnement pour les trottinettes et les vélos en libre service, est un bon début ! Le fait que le choix des emplacements s'appuie sur les travaux de l’agence de design Vraiment Vraiment et du Pavillon de l’Arsenal révèle l'importance de ces "places de stationnement".
Au passage la question de l'encombrement par exemple autour des gares parisiennes ne se limite pas aux trottinettes ni même aux mobilités partagées. J'avais, il y a quelques années pris cette photo impressionnante d'un incendie de motos près de Montparnasse.
Los Angeles introduit par exemple un système obligatoire d'échange de données avec les entreprises de mobilité. Ce système MDS pour Mobility Data Specification permet à la collectivité de disposer d'une vision complète de l'usage des véhicules partagés. Cela devrait, à terme, permettre de ne taxer les véhicules uniquement là et quand l'encombrement pose problème.
Le recours à GitHub pour publier le code du système fait "moderne" et c'est effectivement pratique pour les autres villes...
Mais ce qui me semble surtout malin, c'est que cela permet d'améliorer la connaissance de la mobilité dans la Cité avant d'intervenir progressivement sur le plan réglementaire...
En effet, un des problèmes posés par ces nouvelles "micro-mobilités" est qu'elles sont mal connues. On a du mal à savoir combien de e-trottinettes sont en service dans Paris et on dispose d'encore moins d'informations sur les trajets effectués avec ces véhicules. Du coup la question de l'accidentologie reste mystérieuse puisqu'on est incapable de rapprocher le nombre d'accident du nombre de km réalisés. A ceux qui s'émeuvent du nombre d'accidents, on rétorque que c'est l'effet normal d'un plus grand nombre d'utilisateurs, ou d'utilisateurs imprudents.
Ces incertitudes retardent probablement une prise de conscience du fait qu'effectivement ces véhicules sont beaucoup plus dangereux que les autres en tout cas dans les conditions actuelles d'utilisation.
Connaitre pour agir !
En réalité, il est légitime pour la collectivité de disposer des informations qui permettent de savoir où sont ces véhicules qu'ils se déplacent ou qu'ils soient garés en utilisant un système de type Mobility Data Specification.
Cela devrait permettre de comprendre où ont lieu les accidents et quelle est la proportion de trajets accidentogènes. A court terme, cela permettrait de prendre des dispositions relative aux usages : limitation de vitesse, interdiction de certains axes... A moyen terme, cela peut aussi aider à améliorer les trottinettes elles mêmes pour les rendre plus sûres... et à plus long terme à prendre des décisions d'aménagement des infrastructures pour adapter la ville à ces nouvelles mobilités.
Le même raisonnement s'applique au stationnement, à l'impact sur les sources d'énergie et à toutes les nuisances qu'un mode de transport produit lorsqu'il devient un mode de masse !
Pour conclure, je voulais signaler que l'idée de cet article m'est venue lors d'InOut 2019 à Rennes. J'y ai notamment croisé @15marches, @TheoVital, @MrYanoch et @Lelievre_Adrien et nous avons parlé de trottinettes. Cela ne veut bien entendu pas dire qu'ils souscrivent aux opinions exprimées ici, mais simplement que je me suis enrichi de leurs expertises et de leurs regards croisés sur ce sujet !
2 commentaires:
Merci Yann pour cet article sur un sujet brûlant !
Je ne partage pas certaines points de ton analyse, je me permets donc de développer ici quelques arguments.
1 - sur l'équilibre entre l'offre et la demande
Tu écris "le problème n'est pas le "nombre" qui ne reflète finalement que les besoins en mobilité, mais plutôt l'inexistence de solutions pour gérer les "excédents" d'engins et policer le stationnement". Je ne suis pas complètement d'accord avec toi sur le premier point. L'offre (ici le nombre d'engins déployés sur la voie publique) ne traduit pas seulement la demande (les besoins en mobilité) mais bien des stratégies d'acteurs. Certains nouveaux entrants ont les poches bien remplies et donc ils pourraient être tentés de saturer le marché en déployant un très grand nombre d'engins pour couper l'herbe sur le pied de leurs concurrents - un effet "blast".
L'équilibre entre l'offre et la demande se fera donc sans doute dans un second temps. C'est un peu l'histoire des cars Macron: certains opérateurs sont rachetés, d'autres ferment les lignes les moins rentables, ...
Le problème c'est qu'en attendant que le marché rende son verdict, le terrain de jeu ce sont nos rues et nos trottoirs ;)
Dès lors, quelles stratégies s'offrent aux territoires ? J'en vois plusieurs sur un continuum qui va du "laisser-faire" à l'interdiction pure et simple. Si l'on cherche une voie médiane, qui favorise l'émergence de ce marché tout en limitant le risque d'un effet de blast et in fine le rejet aussi des habitants, on peut aussi tenter de limiter le nombre d'engins sur la voie publique.
Certains territoires ont fait le choix d'adopter une limitation du nombre de trottinettes, vélos ou scooters en free floating. Par exemple à Los Angeles il me semble que chaque acteur a l'autorisation de déployer environ 3000 engins sur la voie publique (un peu bourrin quand même...)
La taxe ne posera pas de problème aux plus gros acteurs, comme tu le soulignes bien. Je doute que cela suffise pour limiter le nombre d'engins déployés - et ce n'est peut-être pas l'effet recherché ! La taxe est davantage un moyen de faire passer le message que l'espace public est aussi un espace qui se régule. Et si en prime le produit de la taxe est fléché vers l'encouragement de pratiques vertueuses cela me semble, comme toi, plutôt une bonne idée.
2 - sur la régulation par la donnée et le MDS
Tu cites à juste titre l'initiative de Los Angeles. J'ai regardé avec intérêt les spécifications MDS. C'est très riche et intelligemment pensé. Mais je ne sais pas dans quelle mesure cela est transposable tel que en France, pour trois raisons:
- le rapport de force: si Los Angeles a réussi à imposer à une majorité d'acteurs le MDS c'est bien en conditionnant l'accès au marché. Pas de data, pas d'autorisation. Est-ce que cela fonctionnerait aussi sans le bâton mais uniquement la carotte ?
- la protection des secrets protégés par la loi: sans même aborder la question du secret des affaires, la législation européenne sur les données à caractère personnel est bien différente de celle en vigueur aux Etats-Unis. Je ne sais pas si notre CNIL verrait d'un bon oeil le partage de données de trajets individuels potentiellement ré-identifiantes,
- la capacité des autorités publiques à exploiter les données ainsi recueillies: combien de territoires ont les capacités d'exploiter au mieux les données pour en tirer de véritables enseignements ? Il y a encore loin entre "récupérer des données" et "être capable de construire des régulations data-driven". C'est un chantier encore devant nous (et il est passionnant !).
Merci dans tous les cas d'avoir initié la discussion après la table-ronde animé sur ce sujet par @15marches !
Merci de ce commentaires bien argumenté.
Sur 1° on est d'accord : il est impératif de "passer le message" que l'espace public se régule à tout ceux qui en douteraient ! J'irai un peu plus loin, il n'est pas interdit de réguler les "communs", surtout si on assiste à des abus... Si non, cela peut virer à la "tragédie" ! Quand il s'agit d'un territoire c'est naturellement à la collectivité concernées de le faire.
Sur le 2° se pose la question de la faisabilité de cette régulation "ici et maintenant"... Je n'ai pas l'expertise suffisante pour affirmer que c'est possible, j'espère que cela va le devenir et comme certains s'y opposeront, ouvrons le débat !
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